La pièce montée est une invention d'Antonin Carême. Aujourd'hui, cette appellation nous évoque une pyramide de choux collés avec du caramel. Et pourtant « le cuisinier des rois et le roi des cuisiniers » cherchait à achever un art beaucoup plus complexe et plus sophistiqué. Cette pièce de pâtisserie, désignée à régner en milieu de table, servait surtout d’ornement, son rôle premier étant d’être admirée.
Avec de la pâte feuilletée, des biscuits ou de la pâte d'amande, il créait des compositions architecturales entourées d’éléments de paysage. En publiant dans son « Cuisinier pittoresque » quinze dessins, il regretta que le format du livre ne lui permette pas d’inclure plus d’images. Il en avait en effet réalisé cent cinquante, qui sont « le fruit de quinze années laborieuses », selon ses propres mots. Et le pâtissier d'expliquer que chaque pièce est « vraiment mangeable », tellement ses créations ressemblent à des objets de décoration.
Antonin Carême, Cuisinier pittoresque. Ruine Gotique, « grosse pièce montée en pâtisserie mangeable » - Bibliothèque Nationale de France
Les ruines antiques, les kiosques, les ermitages décorant des parcs et jardins, la passion de Carême pour l'architecture est née pendant son enfance. Apprenti pâtissier, il passait le peu de temps libre dont il disposait à la salle des estampes de la Bibliothèque Nationale. Suite à son voyage à Saint-Pétersbourg, il présente au tsar Alexandre Ier un album de dessins représentant des monuments qui, selon lui, pourraient décorer la ville. Ses rêves architecturaux, des « ruines d'Athènes » à la « chaumière française », et de la « fontaine des pyramides » à la « maison de plaisance turque », c'est en pièces montées de gâteaux extraordinaires qu'ils voient finalement le jour.
Les créateurs de gâteaux extraordinaires : ces artistes pâtissiers
« Les jeunes gens qui seront studieux, trouveront dans mes dessins de grands moyens d'instructions, et pourront, en peu de temps, faire des progrès rapides », c’est en ces mots que le célèbre pâtissier s’adresse à ses futurs disciples. Antonin Carême ne s'est pas trompé quand il prédisait un grand avenir pour son art des pièces montées. D'incroyables pièces montées ont été créées par son élève Urbain Dubois qui a eu la chance de rentrer dans l’atelier du pâtissier grâce à sa passion pour les gâteaux extraordinaires : Carême les avait remarquées dans la vitrine de la boutique familiale des Dubois.
Ensuite, c’est Jules Gouffé qui a développé et enrichi le métier de la pâtisserie d’art. C’est dans son livre sur les techniques de pâtisserie qu'apparaissent pour la première fois des images de pièces montées en couleur. Les bâtiments antiques ou des chaumières romantiques sont toujours présents, mais l’époque change, et Gouffé est surtout attiré par la représentation de la nature. « Un pâtissier qui aime sa profession trouve partout à moissonner, même dans les accidents du sol ou dans les caprices de la végétation : des constructions en ruines, des amas de rochers, des groupes d'arbres, des massifs de feuillage, sont autant de modèles pour l'ornementation des pâtes et la décoration des pièces montées » – nous raconte-t-il.
Jules Gouffé, Le livre de pâtisserie. Même si cette pièce s’appelle « Maison italienne en nougat sur rocher », la carcasse est intérieurement faite de pâte : disques, piliers, balustrade… - Bibliothèque Nationale de France
Le gâteau extraordinaire, un gâteau à étages
Peu à peu, les gâteaux extraordinaires dits « à trois étages » apparaissent dans la cuisine bourgeoise. Bien sûr, il faut encore une occasion spéciale comme un mariage ou une communion pour commander une telle pièce, mais la table qui l’accueille n’est plus forcément celle d’un prince ou d’un tsar. Vers la deuxième moitié du 19e siècle, même dans des petites villes de provinces, les pâtissiers français ont été capables de confectionner ces gâteaux incroyables et montés de plusieurs éléments. Celui du mariage de Charles et Emma Bovary en est le témoignage.
« On avait été chercher un pâtissier à Yvetot, pour les tourtes et les nougats. Comme il débutait dans le pays, il avait soigné les choses, et il apporta, lui-même, au dessert, une pièce montée qui fit pousser des cris. À la base d'abord, c'était un carré de carton bleu figurant un temple, avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans des niches constellées d'étoiles en papier doré ; puis, se tenait au second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angéliques, amandes, raisins secs, quartiers d'orange, et enfin, sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en écales de noisettes, on voyait un petit Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par deux boutons de rose naturelle, en guise de boules, au sommet. »
Les gâteaux extraordinaires d'aujourd'hui
Les expositions culinaires et les concours professionnels du début du XX siècle n’ont fait qu’enrichir cette tradition. De nos jours, les grands pâtissiers s’adonnent avec plaisir et audace à cet exercice qui leur demande une maîtrise parfaite de métier. Pour devenir le Meilleur ouvrier de France, les concurrents doivent passer par l’épreuve la plus importante, celle de réalisation de gâteau de cérémonie ou à thème qui doivent « faire preuve d’imagination et de créativité » . Pour qu’un jour de printemps, nous arrêtant devant une belle devanture de pâtisserie, nous puissions de nouveau pousser ce cri de ravissement: « Ah, quel gâteau extraordinaire ! »