La brioche normande (la fallue)
Il paraît que la brioche qui fait le patrimoine de tous les Français, est apparue d’abord en Normandie. Déjà en 1404, un document marchand local mentionne « deux pains et quatre brioches ». Le nom du gâteau est, lui aussi, définitivement normand, puisqu’il vient de « brier », qui signifie dans un dialecte local « broyer la pâte ». C’est cette origine ou peut-être encore le fait que le beurre, ingrédient essentiel de chaque bonne brioche normande, y soit de qualité, qui offre à la Normandie de nombreuses variétés de ce dessert. La fallue que François Rabelais appela « la viande céleste » en est la plus répandue, mais le village du Vast dans la Manche garde jalousement sa propre recette ainsi que le Moulins-La-Marche dans la Perche. Ici, la Confrérie des « ventres à brioches » assume avec fierté aussi bien le sens propre du mot que son sens figuré.
La célèbre brioche vendéenne
Le nom de la confrérie démontre bien la nature de la brioche - c'est un pain enrichi de beurre, d’œufs et de sucre. De ce point de vue, d’autres régions de France n’ont rien à envier à la Normandie. Certaines de leurs brioches sont même devenues de vraies célébrités nationales, comme celle de Vendée. Le succès de la brioche vendéenne, cette couronne tressée de taille impressionnante, a même fait renaître une tradition ancienne de la « danse de la brioche » lors des mariages. Le gâteau, pesant jusqu’à 30 kg, est alors porté par les invités, parfois avec la mariée assise sur la civière ou entourée de brioche en forme de gigantesque jupe.
Brioches tressées, roulées, effeuillées : les formes les plus répandues
Même si les ingrédients essentiels, comme la farine, les œufs, le sucre et le beurre, sont communs à toutes les brioches, les touches apportées localement font que la brioche n’est jamais la même : les brioches de nos régions sont tressées, effeuillées ou même roulées en escargot.
Différentes formes de brioches - Adobe stock mai 2021
Ce qui peut vraiment faire tourner la tête c’est la variété infinie de formes que prennent les brioches. La parisienne est « à tête » tandis que sa voisine la plus proche, la brioche de Nanterre est rectangulaire et composée de plusieurs boules. La forme spécifique du Kouglof est tellement reconnaissable que son évocation ne demande pas de description. Moulées ou façonnées, entaillée aux ciseaux ou lisses, tressées, effeuillées, roulées en escargot, en couronne, en fleur ou en boule, la liste des brioches françaises est longue. Certaines prennent des formes vraiment particulières comme le cougnou ou le pain de Jésus, brioche du Nord qui rappelle un bébé emmailloté, ou le gâteau battu de la Somme qui grâce à son moule profond et cannelé prend la forme d’une toque de cuisinier. Et, enfin, les follaerts, des petits pains de Dunkerque sont sensés rappeller… les crottes d’âne transformées en brioche par Saint-Martin, pour remercier les enfants qui auraient retrouvé sa monture égarée !
Brioche sucrées ou brioches salées ?
Les brioches immortalisées par les célèbres artistes Edouard Manet et Jean Siméon Chardin apparaissent dans leurs tableaux entourées de fruits. Ce sont donc pour eux des desserts ; d’ailleurs, le chef-d’œuvre de Chardin ne laisse pas de doute à ce sujet, puisqu’il s’appelle « La Brioche, dit aussi un dessert ». Nous sommes effectivement habitués à voir la brioche à la table sucrée, que ce soit au petit-déjeuner ou au goûter. Et pourtant les brioches salées font le plaisir des Auvergnats, des Bourguignons ou encore de Bressants, que ce soit celle de Gannat (Allier), au fromage, ou celle de Morvan, aux gratons.
La Brioche. Edouard Manet, 1870, Metropolitan Museum of Art
Les autres appellations de brioches régionales : pogne, gâche, coquille du nord ou brioches festives
De la pogne du Sud-Est à la gâche appréciée de la Normandie à la Charente, énumérer les noms de brioches fait renaître les langues chantantes des pays. Souvent, elles évoquent le nom des localités, et nous font ainsi du même coup voyager. Parmi eux, ne sont pas rares celles qui gardent des anecdotes historiques de différents degrés de véracité. Ainsi la brioche de Bourgoin (Isère) serait décorée de sucre rouge et blanc et comporterait des pralines et des dragées pour réjouir le dauphin de France, futur roi Louis XI. D’autres mettent en avant leurs ingrédients phares, comme le tourteau à l’anis (Villefranche-de-Conflent) ou brioche aux pralines roses (Lyon).
Célèbre brioche Pralus de Lyon, brioche aux pralines - Passion Céréales
Et il a, comme souvent en cuisine, des noms nés d’une histoire amusante reflétant l’humour populaire. Il parait que le fameux chinois, gâteau alsacien, donnait du fil à retordre aux revendeurs essayant désespérément de prononcer son nom de Schneckenkuchen. Après quelques tentatives, ils abandonnent : « De toute façon, c’est du chinois ». Le terme serait alors resté.
Enfin, dessert festif, autrefois la brioche ne s’offrait pas dans le quotidien mais apparaissaient aux grandes occasions qui rythmaient l’année, comme les coquilles à Noël dans le Nord, ou la couronne des rois lors de l'Épiphanie dans le Sud. Les habitants de chaque région profitaient de fêtes religieuses ou autres pour se délecter de ce gâteau. La tortillade à l’anis réjouit d’ailleurs toujours les tables de Provence et du Languedoc à l’occasion de la Saint-Eloi, de la Saint-Roch ou de la Saint-Jean. En Corse, l’œuf dur au milieu de la campanilis annonce la fin de Carême, et le pain de Bonifacio, le jour des morts le 2 novembre. Heureusement que depuis longtemps, il ne faut plus attendre les fêtes pour manger de la brioche ! Il suffit d’en beurrer légèrement une tranche encore tiède, pour qu’elle ouvre son arôme généreux et nous offre sa mie fondante.