En Alsace, le kouglof est une institution. Pour la cuisine française, ses amandes caramélisées, sa couleur brune qui se marie à merveille avec le blanc de la poudre glace, son moelleux et son croustillant font de lui une des brioches les plus aimées de l’Hexagone. Mais en dehors de nos frontières, le kouglof a aussi ses admirateurs et même une famille proche.

Pour faire connaissance avec la famille des kouglof, il faut partir à l’est. En Allemagne tout d’abord, bien sûr, où il s’appelle Gugelhupf, mais ensuite en Autriche qui compte ce gâteau parmi ses trésors nationaux. Alexandre Dumas dans son Grand Dictionnaire de cuisine publie une recette du “cougloff” qu’il dit rapporté en France par Antonin Carême. Celui-ci, à son tour, l’attribue à “M. Eugène Wolf” cuisinier du prince Schwartzenberg, ministre de l’Autriche. La provenance autrichienne du “cougloff” est indéniable : “Monsieur Eugène Wolf m'a assuré que les Viennoises ont un talent tout particulier pour bien faire ce gâteau”.

 

Grand dictionnaire de la cuisine Alexandre Dumas source BNF Gallica

 

De Prague à Varsovie 

L’empire Autrichien ayant dans sa population plus de Slaves que de peuples germaniques, et sa gastronomie étant marquée par de nombreuses influences de ces ethnies, quittons Vienne pour la Tchéquie la Pologne, l’Ukraine ou même la Lituanie. Dans chacun de ces pays on trouvera des proches de notre gâteau d'Alsace. Pourtant, ils ne portent pas tous le même nom. Dans les salons pâtissiers de Prague, on les reconnaîtra sous le nom de babovka. Les Polonais vont nous dire que leur haut gâteau avec des flancs à nervures s’appelle babka wielkanocna,  les Ukrainiens et les Russes de la partie occidentale du pays l’appelleront baba ou encore paska.

Tout comme le kouglof, le babka wielkanocna est un gâteau de célébration, le plus souvent pascal comme son nom l'indique (wielkanocna signifie la nuit du Samedi Saint). Sa forme haute, en turban, le distingue d’autres brioches locales. Vladimir Dahl, lexicographe et écrivain russe de la deuxième moitié du 19eme siècle, racontait que ces gâteaux étaient parfois tellement hauts que pour les extraire, il fallait casser le mur du « petch », sorte de four en briques.

 

Fille polonaise portant un kouglof

 

Si la première recette écrite du kouglof alsacien est datée du 19ème siècle, les babkas en Pologne ont une histoire plus ancienne. A la cours d’Aleksander Kazimierz Sapieha, magnat de Pologne-Lituanie à la première moitié du 17ème siècle, on a servi un jour 365 babka pour un seul dîner, pour rappeler le nombre des jours dans l’année qui doivent être agrémentés par des délices pareils. Un témoin de ce repas rapportait que les gâteaux étaient si joliment décorés que certains invités “ne faisaient que les lire” sans vraiment les manger. Pour des occasions plus simples, les babkas continuaient à être cuisinées dans des pots cannelés en terre qui assuraient une diffusion régulière de la chaleur au cœur de la pâte, et donnaient aux gâteaux leurs nervures caractéristiques.

 

Préparation du kouglof

De nombreuses superstitions accompagnent la cuisson des babas, ce processus sacré, dans les villages slaves. Seules les femmes travaillent la pâte, les hommes étant interdits dans la cuisine lors de toute opération. La préparation prend au moins huit heures, et pendant ce temps il ne faut pas parler trop fort, car la pâte dérangée par le bruit pourrait décider de ne pas monter. 

Au-delà des croyances populaires, le baba demande également toute sorte de précautions culinaires. La cuisine doit notamment être bien chauffée et préservée de courants d’air qui pourraient laisser le cœur du gâteau trop compact, le privant de son côté aéré. Antonin Carême, toujours dans le même récit rapporté par Alexandre Dumas, note la connaissance de cette même astuce chez les cuisinières viennoises : “Elles ont la sage précaution de se mettre dans un lieu chaud pour travailler, puis elles font tiédir les œufs, le beurre la farine et même la terrine, ce qui fait le plus grand honneur aux femmes de Vienne”. En Ukraine, les babkas, une fois cuits, refroidissent tranquillement dans les lits des cuisinières ; sous des grosses couettes, pour que la température ne tombe pas brusquement. Cela leur donne le nom de “babkas au duvet”.

 

Du kouglof au baba au Rhum

On est presque certain que c’est le kouglof qui est à l’origine de la naissance d’un autre gâteau français très apprécié des gourmands de l’Hexagone, le baba au rhum.  Stanislas Leszczynski, le roi de Pologne en exil et beau-père de Louis XV, alors installé à Nancy, trouvait le kouglof trop sec à son goût et demanda à ce qu’on le lui serve arrosé de vin de Tokay. La pâtisserie alsacienne a ainsi renoué avec ses racines slaves en revenant même vers son nom polonais. Effectivement, les babas sont souvent arrosés en Pologne aussi bien qu’en Ukraine ou en Lituanie, d’un sirop ou d’un vin sucré.

 

Baba au rhum et kouglof

 

Qui est le fils et qui est le père dans cette histoire ? Revenons encore une fois sur le passage du Grand dictionnaire de cuisine. Antonin Carême remercie son collègue autrichien, “cet estimable et savant praticien” de lui avoir donné la recette du kouglof et avoir ainsi rendu un service important “puisque aujourd’hui je peux en enrichir notre grande pâtisserie nationale”, dit-il. Le kouglof a donc été à l’origine du gâteau qu’Antonin Carême a servi à l’occasion du mariage de Napoléon Ier avec Marie-Louise d’Autriche en 1810 à Compiègne. Rappelant à la reine son pays d’origine, il a reçu le nom de la ville où le mariage allait être  célébré. Les parts bien distinctes du gâteau sont intercalées de tranches d’ananas, et son centre est garni d’ananas au sirop chauffé. De la famille kouglof, proche ou lointaine, il a hérité la capacité de réjouir les tablées aussi bien au moment du petit-déjeuner qu’au goûter ou au dessert après le repas.

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