Rarement au premier plan, ils n'en constituent pas moins au fil des siècles un « élément du décor » tout à la fois fidèle et discret. Un peu comme l'est, sur les tables de la France chrétienne, le pain qu'ils contribuent à produire.
Témoins de leur époque, les moulins sont également le reflet de leur temps. A travers eux, c'est toute la capacité de l'homme à accéder au progrès technique et à maîtriser les éléments qui s'expriment. C'est ainsi que les moulins à main du bassin méditerranéen (IVe siècle avant J.-C.) vont progressivement laisser la place aux ingénieux moulins à eau. Ceux-ci sont mentionnés au Ier siècle après J.-C. Ils imposeront, siècle après siècle, leur mécanisme novateur dans le paysage du royaume. Tous les villages, ou presque, vont avoir leur moulin dans une France où le pain est l'aliment de base des paysans. En 1086, on estime que le pays compte 20 000 moulins hydrauliques.
Mais une nouvelle technologie se déploie déjà : celle des moulins à vent qui apparaissent dès le XIIe siècle. Un peu à la manière des éoliennes de nos jours, ils deviennent des éléments incontournables des paysages des régions ventées, les façades maritimes ou les plaines du Nord par exemple. Équipements à eau et à vent cohabitent souvent en un même territoire, mais les seconds vont être privilégiés. Ils sont en effet moins coûteux et plus facile à construire - la question des canalisations ne se pose plus. Ils donnent un second souffle à la progression des moulins sur le territoire. Tant et si bien que Vauban estime, en 1694, que la France compte 80 000 moulins à farine.
Mais l'évolution de la meunerie ne s'arrête pas là. La population augmentant, les meuniers réfléchissent au milieu du XVIIIe siècle aux moyens qui permettraient d'augmenter leur productivité. Des progrès techniques suivront. Puis la première moitié du XIXe siècle verra les moulins gagner en puissance, notamment grâce à l'arrivée des premiers moteurs, fruits de la révolution industrielle en marche. Leur nombre augmentera à tel point qu'au siècle suivant, une surcapacité de production de farine se fera jour. En suivra la fermeture de milliers de petits moulins et un fort mouvement de concentration tout au long du XXe siècle. En 2008, on compte en France près de 500 moulins actifs.
Au fil de cette riche histoire, une constante : les moulins constituent un lieu stratégique, de pouvoir. C'est d'ailleurs ce que comprennent rapidement, sous l'Ancien Régime, les seigneurs locaux. Les moulins deviennent, au même titre que les fours ou les pressoirs, une des banalités que lesdits seigneurs entretiennent et dont l'utilisation, obligatoire, est soumise au paiement d'une redevance. Le pouvoir, c'est bien sûr celui de la production de farine, et de son contrôle. Sans elle, pas de pain. On comprend alors mieux l'importance que joue le meunier lui-même dans les villages. Personnage clé, il est souvent craint et respecté. Il détient un savoir technique capital pour la population locale, et sa proximité supposée avec le seigneur attise les méfiances.
Rien de tout cela aujourd'hui, meuniers et moulins se font désormais bien plus discrets même si ces derniers sont devenus des bijoux de technologie capable de produire pour leur région et bien au-delà, faisant rayonner la qualité des blés et de la farine française dans le Monde. Les moulins d’antan, et tout particulièrement ceux utilisant la force du vent, sont restés quant à eux très présents dans les imaginaires. Devenus des éléments du patrimoine, ils ont vu des associations se constituer pour assurer leur sauvegarde. Certains ont même repris du service, portés par la quête d'authenticité de certains consommateurs.
Moulin du sud de la France (région PACA) en 2014.