On les voit, on les sent, on les touche. Mais en tendant bien l'oreille, on peut également entendre les céréales ! Retour sur ces bruits et ces musiques qui, du champ à la boulangerie, composent une véritable bande-son à la filière céréalière. 

 

C'est un bruit que seuls les initiés connaissent. Au cœur des matinées d'été, alors que les rayons du soleil réchauffent l'atmosphère, on peut parfois écouter le blé... « grogner ». Dans ces champs prêts à être récoltés, l'humidité de la nuit cède doucement sa place à l'ambiance chaude des journées estivales. « Le grain va alors perdre de cette humidité, et l'on entend alors des craquements, un peu comme lorsque du bois sèche », explique Marc Patriat.

Agriculteur à Corrombles, en Côte d'Or, il parcourt justement ses parcelles à cette période, afin de cerner le bon moment pour récolter. C'est une période où tous les sens sont en éveil. La vue, face à ces étendues blondes qui ondulent, bien sûr, mais également l'odorat, grâce aux senteurs émanant du blé humide du matin. Du blé qui sera touché, évalué en quelque sorte, avant parfois d'être « mis en bouche », afin d'obtenir la pâte bien connue des céréaliers, sorte de chewing-gum végétal. En toile de fond, ce sont donc ces craquements sourds qui assurent la bande-son de ce tableau céréalier.

Le vent dans les blés

Une bande-son pour les céréales ? De fait, l'ensemble de la filière, des champs de blé jusqu'à la dégustation du pain, est parcourue par des bruits, des sons, des musiques. Ils caractérisent chacune des étapes de fabrication, et, ce faisant, enrichissent notre imaginaire des céréales. Plongez-vous dans les champs de blé ou d'orge, fermez les yeux et écoutez... Le bruit du vent balayant les cultures est un récital naturel des plus délicats. Et parfois même, pour certains, une jolie Madeleine renvoyant à l'enfance.

Lorsqu'il remonte le fil de ses souvenirs de jeunesse, Marc Patriat se rappelle également de ces étés où il pouvait conduire la moissonneuse comme les adultes. « Je me souviens du bruit impressionnant que cela faisait, il n'y avait pas de cabine comme aujourd'hui », explique-t-il. Les machines et les rugissements qu'elles émettent ont, chez beaucoup d'agriculteurs, une place de choix dans l'évocation du temps de moissons.

Les sons de mon moulin

C'est une autre mécanique complexe qui occupe, au quotidien, le meunier : son moulin. Et là encore, les lieux ont leur identité sonore. Des bruits, des sons et parfois même des hoquets qui semblent parler au producteur de farine. Car connaître son moulin est une histoire d'oreille. « Chaque moulin a ses particularités sonores, il faut toujours être à l'affût d'un bruit, explique Thierry Dubois, meunier à Dommartin (Nièvre). C'est à l'oreille qu'on le surveille ». Les sons du moulin en disent donc long à ses occupants : ce sont eux qui lui permettent de déceler la moindre problématique, à l'écoute.

Et que nous dit le pain ? Augustin Paluel-Marmont a la réponse. Lorsqu'il préparait un CAP boulanger, le cofondateur de l'entreprise Michel & Augustin a en effet fréquenté les fournils au cœur de la nuit. C'est l'heure où les baguettes s'expriment le plus : « J'ai adoré les entendre à 4 heures du matin, lorsqu'elles sortent du four. Elles sont toutes chaudes et croustillantes et... Elles chantent ! Oui, ce n'est pas un rêve, on les entend littéralement chanter ! »

La magie opère également au moment de déguster le pain. Lorsqu'on casse la croûte, c'est ainsi tout un univers sonore qui parvient à nos oreilles. Sous les dents, une véritable symphonie : il croustille, crisse et craque lorsqu'on le croque. « La partie auditive est très importante dans le plaisir sensoriel provoqué par le pain, assure d'ailleurs Paul Le Mens, ingénieur en sciences des aliments. Je me régale de son son lorsque je le consomme ». Un son aux subtiles variations, perceptibles par exemple entre le haut et le bas de la grigne.

Du croqueur de pain à Cro-Magnon

C'est un peu comme avec les biscottes ou les biscuits : cette bande-son a son importance dans les souvenirs des consommateurs et l'attachement qu'ils ont à ces produits céréaliers. Parce que ce craquement sous la dent si particulier, et qui rejoint l'oreille interne, peut être évocateur d'un passé réconfortant. Mais aussi pour d'autres raisons, plus profondes : « Lorsqu'on rompt le pain avec la force de la mâchoire, après une phase de résistance de la croûte, on libère de l'énergie en même temps que le craquement se fait entendre », indique Paul Le Mens. L'ensemble va amener une grande satisfaction au croqueur de pain. Jusqu'à réveiller, en nous, des sensations qui guident l'humanité depuis des millénaires : « Le plaisir de détruire la matière nous renvoie à l'homme de Cro-Magnon, à la Préhistoire : c'est un trait culturel important ». Et Paul Le Mens de conclure : « Le craquement de la croûte de pain sous nos dents a un sens profond, essentiel pour l'Homme : il nous prouve que nous avons pu nous alimenter ».