Philippe Du Janerand, comédien, nous raconte... par passioncereales
"C’est en buvant une bonne bière que je plonge dans le foudre de mes souvenirs.
D’abord, c’était la route des vacances… Il faisait beau, on pouvait entendre Une belle histoire chantée par Michel Fugain… On prenait la nationale… on s’arrêtait en famille dès qu’un petit chemin s’ouvrait dans la campagne. Il n’y avait plus que le vent dans le blé qui nous calmait d’un long voyage… Je me souviens que mon père me montrait qu’un épi de blé pouvait se désagréger en petits grains… en les mettant en boule, ils s’humidifient et il me disait : « C’est presque du chewing-gum ».
J’ai encore en mémoire cette sorte de bouillie qui me faisait effectivement ressembler à un James Dean au petit pied.
Avec les coquelicots qui piquaient le champ de touches sanglantes… C’est la peinture de Van Gogh qui s’évoque… C’est aussi le tableau représentant une sieste paysanne après le fauchage… à l’ombre d’une meule.
C’est en buvant une bonne vodka… oui… cela me revient...en sortant de l’école, c’était invariable, le petit pain au chocolat… On faisait la queue… On louchait aussi sur les Cocos et le bâton de réglisse, on humait les brioches, mais rien à faire, c’était pain au chocolat… et la chanson de Joe…
Tous les matins il achetait
Son p'tit pain au chocolat
La boulangère lui souriait
Il ne la regardait pas
Et pourtant elle était belle
Les clients ne voyaient qu'elle
Il faut dire qu'elle était
Vraiment très croustillante
Autant que ses croissants
Et elle rêvait mélancolique
Le soir dans sa boutique
A ce jeune homme distant
Il était myope voilà tout
Mais elle ne le savait pas
Il vivait dans un monde flou
Où les nuages volaient bas
Il ne voyait pas qu'elle était belle
Ne savait pas qu'elle était celle
Que le destin lui
Envoyait à l'aveuglette
Pour faire son bonheur
Et la fille qui n'était pas bête
Acheta des lunettes
A l'élu de son cœur
Dans l'odeur chaude des galettes
Et des baguettes et des babas
Dans la boulangerie en fête
Un soir on les maria
Toute en blanc qu'elle était belle
Les clients ne voyaient qu'elle
Et de leur union sont nés
Des tas des petits gosses
Myopes comme leur papa
Gambadant parmi les brioches
Se remplissant les poches
De p'tits pains au chocolat
Et pourtant elle était belle
Les clients ne voyaient qu'elle
Et quand on y pense
La vie est très bien faite
Il suffit de si peu
D'une simple paire de lunettes
Pour rapprocher deux êtres
Et pour qu'ils soient heureux
Joe Dassin
Voilà pourquoi je porte des lunettes.
C’est en buvant un bon gin fizz que la Marie me revient à la mémoire. On allait chez la Marie, rue de l’Eglise, avec notre part de beurre salé… Oh… il n’y avait pas grand monde chez la Marie… toujours les mêmes mômes… dont un… moi, le parisien… elle parlait breton la Marie… elle portait la coiffe, la bigoudène… et la Marie… c’était la reine… les meilleurs crêpes du monde, c’était rue de l’Eglise, au Guilvinec... oui… elle m’a piégé la Marie… elle disait blé noir, elle disait galette… elle parlait des sarrasins. Mais maintenant je sais… pas céréale, le blé noir. J’ai poussé depuis. Après on faisait mes sucrées... et là… oui… C’était la fête du blé si tendre.
C’est en buvant un bon saké que je ne pense pas forcément au riz. Et pourtant, je vois des chars de combat dans les champs lorsque le temps des moissons est ouvert. Temps de moissons, temps de guerre. Cette fumée de poussières qui montent de la terre sèche… et la nuit, cela devient Hollywood. On s’attend au lancement de Philae vers Tchouri. Les gueules à roue qui avalent comme goulues, cette rage de la moisson, ce corps à corps… et les bennes qui attendent comme ivres, la ration titanesque.
Un temps… et les paysages deviennent monuments aztèques de meules, de constructions offertes au Grand Soleil… lourdes et massives sur l’horizon… Un temps de bataille est passé… restent les châteaux. La paix est revenue. Mais le chaume au sol est devenu fer… et si le fakir veut bien passer sur la planche à clou. Ce temps de moisson, ce grand temps de débauche et d’orgie. Les vendanges vont très rapidement pointer. On va se gorger.
Et en buvant un bon whisky, naturellement, le Vivant s’incruste… Il dit :
C’est la fête du blé, c’est la fête du pain.
Aux chers lieux d’autrefois revus après ces choses !
Tout bruit, la nature et l’homme dans un bain
De lumière si blanc que les ombres sont roses.
L’or des pailles s’effondre au vol siffleur des faux
Dont l’éclair plonge, et va luire, et se réverbère.
La plaine, tout au loin, couverte de travaux,
Change de face à chaque instant, gaie et sévère.
Tout halète, tout n’est qu’effort et mouvement
Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mûres,
Et qui travaille encore imperturbablement
A gonfler, à sucer là-bas les grappes sures.
Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin,
Nourris l’homme du lait et de la terre, et lui donne
L’honnête verre où rit un peu d’oubli divin.
Moissonneurs, vendangeurs là-bas ! Votre heure est bonne !
Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins,
Fruit de la force humaine en tous lieux répartie
Dieu moissonne, et vendange, et dispose à ses fins
La Chair et le Sang pour le calice et l’hostie !
Paul Verlaine.
C’est en buvant une bonne aquavit – eau de vie – que je me souviens avoir voulu faire la cuisine pour mes parents absents. La tâche était noble : servir des pâtes, de très bonnes pâtes… Les colorier d’herbes, les parmesanter, en faire une sorte d’œuvre artistique du meilleur goût, bref en parler comme d’un chef-d’œuvre.
Je me lançais donc… facile… eau à bouillir… facile… servir avec une noix de beurre… Stupéfait, j’arrêtais tout pour descendre chez l’épicier. Une fois remonté, en fait, le plus difficile était de comprendre s’il fallait mettre le beurre à l’intérieur ou à l’extérieur de la noix.
Les enfants sont charmants.
Je tiens à préciser qu’un jour j’ai découvert la vérité.
Vive les farfalles.
Vive le blé.
Vive le vin.