Nous sommes au début du printemps, période symboliquement forte où tout renait, tout se met à pousser, comme une promesse certaine de nouveaux beaux jours et de futures récoltes.
Bien avant la chrétienté, les hommes, enfin sûrs de la renaissance de la nature, saluaient son renouveau. Celle-ci offrait des images, symboles d’abondance, de fertilité et de fécondité. Il était facile, voire nécessaire, d’absorber, de manger ces images, en modelant les pâtes à gâteaux et à brioches. Surtout que ces préparations culinaires festives étaient souvent faites de pâte à pain enrichie d’œufs. L’œuf, symbole de fécondité, que les poules se remettent à pondre en abondance lorsque les jours rallongent, et que les parents cachent dans les jardins, simplement peints ou en chocolat.
Les boulangers et les pâtissiers offrent toujours suivant les régions de nombreuses préparations pendant la semaine sainte, du dimanche des rameaux au lundi de pâques, prenant la forme de lapins, de lièvres, d’agneaux, de pains peu levés mais bénits ou encore de formes évoquant la fécondité, bien simple à comprendre, comme les pines en Poitou-Charentes.
Lapins, agneaux et autres symboles de fertilité…
Certainement inscrit dans une très ancienne tradition saxonne, certains boulangers ont produit jusqu’à une période récente, des brioches moulées en forme de lapin ou plus probablement de lièvre, animaux très fertiles. Le lièvre était associé à la déesse Eostre, fêtée au printemps. Nous retrouvons d’ailleurs ces lièvres et lapins, dans les chocolats de Pâques.
En Ardèche et en Alsace, ce sont des brioches ou des gâteaux en forme d’agneau qui sont fabriqués pour la Semaine Sainte. Nadine Cretin, dans son livre[1], nous rappelle que Saint-Jean-Baptiste désignait Jésus comme « l’agneau de Dieu» et que Saint-Paul signifiait que le Christ «lui-même était la Pâque, l’agneau immolé qui a versé son sang pour le salut des hommes». L’agneau est aussi fêté par les juifs en souvenir du sang d’agneau utilisé pour marquer les maisons des juifs afin d’épargner les enfants juifs de l’ange exterminateur venu sacrifier les enfants premiers nés des égyptiens juste avant l’exode d’Egypte.
Dans l’ancien Berry, on fabrique le radillat, un pain non levé - peut-être une référence au pain azyme consommé pour Pessah, la Pâque juive - légèrement sucré et bénit, qui était souvent consommé pendant la Semaine Sainte.
Cornues de Limoges, cornadelles du Périgord ou encore cornard de Beaumont en Auvergne, sont des brioches aux cornes dressées, vendues pour les Rameaux et la Semaine Sainte. Comme l’évoque la légende auvergnate, c’est sans doute une représentation du bouc personnifiant le diable, qu’un humble curé aurait chassé de son église. Représenter Satan en brioche et le manger est une bonne manière de tuer les mauvais jours et de fêter le printemps.
Enfin, de manière bien plus explicite, il existe toujours des échaudés, gâteaux cuits deux fois, d’abord à l’eau puis au four, aux formes suggestives : dressées et phalliques en Poitou-Charentes avec la pine ou en anneau, en Provence avec les brassadeaux.
Pâques, fête chrétienne commémorant la résurrection du Christ, évoque donc avec gâteaux et brioches des symboles bien plus anciens. Ainsi, quand vous dégusterez pour Pâques, des agneaux, des lièvres, des lapins, des poules ou des œufs, vous croquerez dans des représentations anciennes de fécondité et de fertilité. Bon printemps !
[1] «Fête des fous, Saint-Jean et Belles de mai, une histoire du calendrier», Nadine Cretin, Seuil éd., 2008.