Bière et vin étaient au contraire jugés plus sûrs, parce qu'alcoolisés, et dotés d'un pH acide. Ces boissons pouvaient même se prévaloir, au sein des édifices religieux, d'une reconnaissance de marque.
Rédigeant les règles fondatrices de la vie monacale, Saint Benoît avait abordé au VIe siècle la question de la consommation de vin. S'il y vit le résultat d'une décadence de son temps, il reconnut dans le même temps l'existence de cette habitude et, se faisant, la toléra.
La production viticole s'avérant toutefois impossible dans de nombreuses régions du Nord de l'Europe, c'est la bière qui s'y imposa, au point de devenir la boisson de base des moines anglais.
Les premières brasseries
C'est ainsi que de nombreuses communautés religieuses vont décider de brasser leur propre bière. Elles seront près de 500 en l'an 1000.
Si les brasseries assurent, dans un premier temps, une production pour les moines, elles vont rapidement permettre également de sustenter les pèlerins que les abbayes accueillent. Ce qui peut donner lieu à une classification très précise des bières, comme dans le monastère suisse de Saint-Gall où l'on trouve la première description de la fabrication de bière datée du IXe siècle. Sur le plan de l'édifice, est indiqué que les lieux regroupent pas moins de trois brasseries distinctes. Chacune d'elle voit son breuvage réservé à des catégories de consommateurs : pères, frères, visiteurs, pèlerins...
Chemin faisant, ces mêmes pèlerins seront de plus en plus nombreux à se presser pour déguster les bières des frères. Elles représentent une boisson saine, mais également des plus nutritives. Et ce n'est pas tout : le breuvage produit par les abbayes se bonifie au fil des ans, au point de devenir, par endroit, une véritable référence.
Des moines à la pointe de l’innovation
Les moines s'imposent en effet progressivement comme des maîtres dans l'art de faire de la bière. Ils parviennent à réaliser une boisson de qualité et, dans le même temps, introduisent quelques progrès décisifs dans sa confection.
En amont tout d'abord, sur un plan agronomique : les religieux perfectionnent la culture de l'orge de brasserie. Au niveau de la production de bière elle-même ensuite : c'est dans les monastères qu'est mise au point au XVe siècle la fermentation basse, qui donne notamment la possibilité de conserver plus longtemps la bière produite. C'est précisément ce que permet également une autre innovation attribuée aux religieux : l'introduction du houblon dans la recette de la précieuse boisson. Cette plante aromatisera le breuvage et donnera la possibilité aux producteurs de développer à une plus grande échelle le commerce de cette bière ainsi mieux conservée.
La belle aventure des moines brasseurs va connaître un coup d'arrêt au XVe siècle. Les brasseries artisanales vont alors exercer progressivement une concurrence face à laquelle, en France, ils ne pourront que s'incliner. La résistance sera toutefois plus forte chez les religieux belges et allemands.
La bière d’abbaye a le vent en poupe
Et aujourd'hui, que reste-t-il de la tradition des bières d'abbaye ? C'est dans l'ordre cistercien de la stricte observance que tout se passe.
Plus connus sous le nom de trappistes, certains de ses membres ont repris le flambeau. En petit nombre toutefois : il existe seulement une dizaine de brasseries contrôlées par les trappistes, majoritairement en Belgique. C'est en France que la dernière a été lancée, en 2011, par les frères de l'abbaye du Mont des Cats (Nord).
Des entreprises ont par ailleurs repris des brasseries monastiques ou obtenu le droit d'utiliser le nom « bière d'abbaye », appellation prisée car des plus porteuses sur le plan commercial. Preuve que, dans l'imaginaire collectif, la référence aux moines est un gage de qualité et de respect des traditions ; que ces hommes de foi soient présents de façon active dans la production de la bière... Ou qu'ils soient seulement dessinés sur l'étiquette d'une bouteille.