C'était au cœur des années 2000. Edouard Minart vivait à New-York et travaillait dans l'analyse crédit. Ce Bordelais d'origine était spécialisé dans les secteurs de l'industrie lourde et des médias/telecom. Une expérience professionnelle riche qui a duré sept ans et qui lui a permis de s'immerger dans la culture américaine. C'est là qu'il a découvert un secteur alors en pleine effervescence outre-atlantique : la « craft beer » (la bière artisanale). « C'était vraiment passionnant ! », se souvient-il aujourd'hui.
De retour en France, cette passion ne le quitte pas et, après deux années de réflexion, il décide de donner une nouvelle orientation à sa vie professionnelle : il crée avec deux amis sa propre brasserie. Bap Bap est née. « Mes connaissances des questions financières m'ont aidé pour le montage du projet et les relations avec les partenaires bancaires », note Edouard Minart. Un ancien entrepôt situé en plein cœur de Paris est investi et va être le cadre de la création d'une gamme de bières (on compte aujourd'hui 5 bières permanentes et plusieurs éphémères au fil de l'année).
Edouard Minart (en bas à droite) avec une partie de l'équipe de la brasserie parisienne Bap Bap.
La curiosité des amateurs de bières
La brasserie s'est, depuis, développée. Une quinzaine de personnes y travaillent et, en 2018, ce sont plus de 4000 hl de bières qui y ont été produits.
« C'est un univers très intéressant, nous sommes face à des consommateurs qui veulent comprendre ce qu'ils boivent et qui sont très curieux. Ils sont donc ravis de déguster de nouvelles productions plus houblonnées, plus acides... ».
Son parcours n'a rien d'une exception. En plein boom (on comptait 1150 brasseries en France en 2017), le secteur de la brasserie artisanale voit arriver chaque année dans ses rangs une grande diversité de profils. Jeunes diplômés d'écoles de commerce, publicitaires, enseignants... Ces nouveaux visages de la bière s'engagent dans ce secteur par passion, attirés par une profession qui allie maîtrise technique et créativité, séduits également par les valeurs véhiculées par la filière.
« Un monde des brasseries accueillant et bienveillant »
Ces valeurs, Clémence Thibord les connaît bien. Et pour cause : la jeune femme de 32 ans est issue d'une famille travaillant dans l'agriculture depuis 1936, spécialisée notamment dans l'orge de brasserie. Elle n'a pourtant, dans un premier temps, pas suivie cette voie. C'est ainsi à Paris qu'elle débute sa vie professionnelle, dans le secteur de l'événementiel. Mais quelques années plus tard, elle fait son retour sur les terres de son enfance, à Palis, dans l'Aube, pour prendre un nouveau départ. « J'aimais beaucoup mon travail, mais l'envie de créer ma brasserie et de vendre des bières produites à partir de l'orge de l'exploitation tenue par mon frère, était plus forte ! », explique-t-elle.
Nous sommes fin 2015 et commence alors pour elle une immersion dans le monde de la brasserie. Clémence Thibord multiplie les contacts, les rencontres, pour tout connaître du métier. Un « tour des brasseries » qu'elle poursuivra durant la phase de travaux nécessaires à la mise en place de sa propre brasserie. Elle enchaînera alors les collaborations et les créations de bières éphémères. « J'ai découvert un univers particulièrement accueillant, explique-t-elle. Il y a beaucoup d'entraide, de bienveillance et une belle simplicité. Tout cela m'a vraiment plu... Et rappelé le monde agricole ! ».
Clémence Thibord (cc Clément Leriche)
Elle a depuis pu intégrer ses propres locaux et a développé de multiples canaux de vente pour ses bières, du bar de sa brasserie jusqu'aux caves parisiennes ou lyonnaises.
Blanche à la fleur de sureau
L'appel de l'orge a également été le plus fort pour Joachim Chanliaud. Lui aussi a débuté sa vie professionnelle dans un tout autre secteur. Il a été durant plusieurs années technicien son à Paris. Parallèlement, il explore la grande variété aromatique de la bière, s'essaie au brassage amateur. « J'ai découvert de nouveaux goûts, cet univers m'a beaucoup plu, explique-t-il. J'avais en moi l'idée de me lancer... Et j'ai finalement franchi le pas en 2013 ».
Il avait entretemps déménagé en Corrèze et c'est donc à Uzerche qu'il ouvre la brasserie de la Vézère, après avoir suivi une formation à l'Institut français des boissons, de la brasserie et de la malterie (IFBM). Il s'engage alors dans plusieurs années d'intenses travaux pour poser les fondations de son entreprise, développer sa gamme de bière bio (blanche à la fleur de sureau, noire aux épices de Noël...) et son réseau de distribution.
Aujourd'hui, à 34 ans, le brasseur se dit « satisfait », heureux de voir son activité « prendre son envol ». Il est en cours de déménagement dans de nouveaux locaux et, après environ 300 hl en 2018, espère produire 400 hl cette année. Heureux également d'avoir pu mener un projet où la créativité a toute sa place et où « l'on peut répondre à une demande en transformation la matière première agricole ». Un lien avec le monde céréalier qu'il aimerait d'ailleurs renforcer. « C'est une envie que j'ai en moi : produire une partie de mon orge moi-même. » Et de conclure : « J'espère que, d'ici quelques années, je pourrai mettre la main à la terre ». |
Agriculteur et brasseur, de père en fils
Mettre la main à la terre : c'était justement le quotidien de Hugues Rabourdin lorsqu'il a décidé, à la fin des années 90, de se lancer dans la brasserie. Avec son épouse Geneviève, ce céréalier seine-et-marnais s'est ainsi investi dans la bière, tout en poursuivant la production agricole. Il est alors à l'avant-garde d'un mouvement de diversification vers l'activité brassicole qui a, depuis, essaimé dans le secteur agricole. « Nous souhaitions sécuriser le revenu, et créer une valeur ajoutée dans le prolongement même de l'exploitation », se souvient-il aujourd'hui. L'orge produit à la ferme trouve ainsi dans la bière un débouché tout naturel.
Débutée en 2001, la production a, depuis, connu un beau développement sous l'impulsion de son fils, Hubert. Passé, comme son père, par les bancs de l'IFBM, il a repris l'exploitation en 2009. Afin de donner plus d'ampleur à la brasserie, un ancien silo à grains situé à Courpalay est acheté et devient en 2015 le lieu de production de la bière. Une production en pleine croissance aujourd'hui. Elle était de 6000 hl en 2018 et devrait atteindre les 8000 hl cette année. Trois gammes ont progressivement été développées (la bière de Brie, la Briarde et la Terrano), proposant un « retour au terroir » gagnant à des consommateurs en quête d'authenticité.
Mais dans le même temps, Hubert Rabourdin n'en oublie pas la ferme familiale, qui a été agrandie en 2016. « Une diversification ne signifie pas que l'on change de métier », confirme-t-il, bien décidé à mener lui aussi ses deux activités de front. « Nous sommes brasseurs mais aussi agriculteurs, insiste-t-il. C'est très important pour nous. Et c'est même un atout commercial lorsque nous vendons nos bières ! »
Pour plus de renseignements :
Brasserie BapBap, à Paris : http://www.bapbap.paris/
Brasserie Thibord, à Palis (Aube) : https://www.brasseriethibord.fr/
Brasserie de la Vézère, à Uzerche (Corrèze) : http://www.brasserie-vezere.fr/
Brasserie Rabourdin, à Courpalay (Seine-et-Marne) : http://www.biere-de-brie.com/