Dans Ratatouille, film d'animation des studios Pixar (2007), le pain a son « moment ». Lorsque Colette, la cuisinière, est chargée d'apprendre au jeune commis Alfredo Linguini les bases de son art, elle s'attarde sur les différentes façons d'obtenir de bons produits pour le restaurant où ils travaillent. « A quoi reconnaît-on qu'un pain est bon sans le goûter ? », l'interroge-t-elle. La réponse suit : « Au son que produit la croûte ! » Et d'évoquer cette « symphonie croustillante » à laquelle on distingue les pains d'exception. Joignant le geste à la parole, elle exerce une pression sur un pain, laissant s'échapper ce joli craquement si caractéristique.
Dans ce dessin animé rendant hommage à la gastronomie française, on perçoit quels sont les produits qui, pour les Américains, représentent le mieux le savoir-faire (mais aussi le savoir-vivre) hexagonal.
Notre pain quotidien répond présent comme emblème tricolore.
Pain, farine, blé, maïs ou riz... Les caméras aiment à s'attarder devant les différentes étoiles de la filière céréalière. Elles ont pour elles cette forte dimension symbolique évoquée dans Ratatouille, une puissance évocatrice qui permet tant de caractériser un lieu, une époque, que de filer la métaphore en convoquant l'imaginaire porté par les céréales et les produits céréaliers.
Les champs de la liberté
Que nous disent, par exemple, ces champs de blé du Dakota filmés dans Into the Wild (Sean Penn, 2007) ? C'est là que le jeune Christopher s'immerge un temps. Dans son parcours initiatique qui doit le mener de cette société matérialiste qu'il rejette vers « la liberté absolue », vers l'Alaska, il fait une pause dans une ferme. Il se fait embaucher, apprenant du même coup les rudiments du métier. C'est un moment clé du film, là où il va comprendre la production des fruits de la terre. Son chemin est celui du retour vers la vie sauvage et cette exploitation céréalière s'impose comme le lieu d'une transition symbolique entre le monde des humains et celui de la nature, l'agriculture représentant le trait d'union entre eux.
L'image du jeune homme s'enfonçant progressivement dans les épis, jusqu'à ne plus être visible est, de ce point de vue, très symbolique. Les céréales sont, pour lui, le plus court chemin vers la liberté.
Un retour à la nature et à la liberté qui apparaît comme un thème récurrent lorsque paraissent les champs à l'écran.
Dans Match Point (2005) de Woody Allen, par exemple. Chris, un jeune professeur de tennis d'origine modeste, gravit à grandes enjambées l'échelle sociale, intégrant d'amitiés en mariage les milieux huppés de Londres. Mais il tombe amoureux de Nola (Scarlett Johansson), une actrice américaine qui peine à percer. Sous une pluie battante, c'est dans un champ de blé que l'un et l'autre cèdent à la tentation et se livrent à un corps à corps haletant. L'étendue végétale symbolise ici un espace de liberté, en marge de l'univers codifié de la haute société londonienne. Un retour éphémère à la nature, au « naturel », sans fard, loin de leurs ambitions.
La présence, dans l'objectif, des champs cultivés est aussi une façon pour le cinéaste de caractériser un lieu, une époque. Telles ces étendues céréalières que l'on aperçoit dans Forrest Gump (1994), lorsque le héros court à travers les Etats-Unis plusieurs années durant, et qui symbolisent au mieux les grandes étendues de l'Amérique rurale. Ou encore les rizières de la plaine du Pô, en Italie, où a été tourné Riz amer (1949). Au-delà de l'intrigue, Giuseppe De Santis réalise avec ce long-métrage néoréaliste un véritable documentaire sur l'importance de la culture du riz pour la population locale dans l'après-guerre, mais aussi sur la vie des mondines, ces femmes qui partaient en nombre travailler dans les rizières.
Ce retour à la nature est également abordé par Terrence Malick dans Les moissons du ciel (1978). Le réalisateur américain a, tout au long de sa carrière, célébré la beauté des champs de blé, apportant un soin tout particulier durant ses tournages à l'esthétisme et aux recherches picturales (pour ce faire, bien des scènes des Moissons du ciel seront tournées entre chien et loup, à l'heure bleue). Se faisant, il présente dans ce film les grandes étendues cultivées au Texas (mais le tournage a lieu en Alberta, au Canada) comme un paradis perdu. C'est celui que rejoint Bill (Richard Gere), un ouvrier de Chicago qui fuit sa misère urbaine, avec sa petite amie Abby et sa sœur. Le trio pensera trouver là le cadre d'un nouveau départ.
La graine et la vie
Citons aussi ces champs du centre de la France où l'on effectue avec le jeune Pippo une plongée dans la France rurale des années 50 dans Le temps des porte-plumes (2006). Mais en la matière, le maître du genre reste bien Marcel Pagnol. A travers plusieurs de ses films, c'est la France de l'entre deux-guerres qui défile sous nos yeux. Un signe ne trompe pas : c'est vers ces œuvres que l'on se tourne lorsqu'on cherche à évoquer et représenter la Provence d'antan. Reflet d'une époque, ses films permettent également de mesurer le poids du monde céréalier dans les sociétés d'alors. La femme du boulanger (1938) montre par exemple toute l'importance du « maître du pain » dans un village. La grève du fournil qu'il fait lorsque sa femme le quitte sème le trouble et incite toute la communauté à partir à la recherche d'Aurélie.
La symbolique n'est par ailleurs jamais loin dans ses films. Le monde rural et les bienfaits de la terre sont célébrés. Une terre qui nourrit les hommes et apparaît comme une source de vie. C'est l'image qu'en donne Pagnol dans Regain (1937). Dans ce film, l'arrivée d'une jeune femme, Arsule, aux côtés de Panturle, l'un des derniers habitants d'un village provençal va permettre au hameau de survivre. La scène finale offre une belle représentation métaphorique. Le couple sème dans un champ. Arsule est victime d'un petit malaise qui permettra à Panturle, ému, de comprendre qu'elle est enceinte. Le regain est là, le cycle de la vie poursuit son cours, dans les champs comme chez les hommes. Invitant la jeune femme à ne plus travailler pour se consacrer à sa grossesse, Panturle peut conclure dans un geste tendre : « Le blé, c'est ma graine à moi, toi, occupe toi de la tienne. »
Regain - Voir scène de fin à 1h59.