A l'issue de la crue, en se retirant, le Nil laissait les champs recouverts d’une terre grasse et molle dans laquelle les agriculteurs pratiquaient rapidement les semailles. Hérodote, voyageur infatigable, note avec étonnement l’absence de labour préalable à l’ensemencement. La terre molle recevait directement les grains, mis en terre soit par le passage d’un simple araire ou d’une houe, soit plus simplement foulés par des troupeaux qu’on laissait déambuler à ces fins. Cette technique déroutait l’auteur grec qui gardait en mémoire la difficulté des labours avant semailles dans les cultures classiques du sud de l’Europe. Si cette première étape était simplifiée, l’exploitation des céréales restait toute de même une tâche particulièrement ingrate.
Les céréales composent la base de l’alimentation égyptienne pendant toute l’histoire de cette civilisation. L’orge est au Proche-Orient la première et la plus importante céréale cultivée, mais les blés ont eu une large place dans la production antique. Bien que parfois miraculeusement conservées, il est aujourd’hui difficile de déterminer précisément toutes les espèces biologiques cultivées. Elles se sont enrichies au cours des siècles, soit au contact d’autres civilisations, soit par les croisements pratiqués plus ou moins volontairement par les ancêtres des agronomes. Le blé amidonnier, arrivé en Egypte dès le Ve millénaire avant notre ère après une domestication au Levant 3 000 ans plus tôt, reste toutefois la variété de référence.
À partir de l’exploitation de ces céréales, le pain et la bière forment la nourriture de base. Les textes racontent qu’une table fournie doit comprendre « du pain et de la bière, du bœuf et de la volaille par milliers ». L’aspect des pains était différent de celui des pains consommés dans nos cultures européennes modernes. Sans levure chimique, et en l’absence de blé dur – qui ne sera mis en culture en Egypte que vers 300 avant notre ère – et donc de farines telles que les nôtres, les pains étaient denses et conservaient souvent en leur cœur des grains entiers qui aident les archéologues à en comprendre la nature.
La fabrication et la cuisson du pain - 5e dynastie, 2500 - 2350 avant J.-C. calcaire peint |
Le pain comme la bière sont issus de céréales dont la fermentation a dû d’abord être comprise pour être maîtrisée. Autant pour le premier celle-ci devait être arrêtée, autant pour la seconde elle devait être contrôlée et orientée. Pour le pain, il est généralement admis qu’il est issu de bouillies de céréales. La cuisson de ces bouillies permettait d’en assurer la conservation sans risque de poursuite de fermentation. Rapidement, la maîtrise des cuissons a permis l’émergence d’un nouveau métier : le boulanger. Il apparaît souvent à l’œuvre dans de nombreuses représentations de boulangerie (ci-dessus). Les premiers fours sont portatifs mais le dispositif se perfectionne petit à petit. Sur certaines peintures ou reliefs, les boulangers se protègent des flammes en cherchant à maîtriser le feu et la chaleur du four. Le goût des anciens Egyptiens les a rapidement poussés à associer ces pains à des fruits comme des figues ou des dattes, donnant à ces pâtisseries une place de choix dans la gastronomie antique.
Ensemble de pains - Deir el Medineh - vers 1450 avant J.-C |
La conservation exceptionnelle des vestiges archéologiques dans le désert égyptien a permis la découverte de pains vieux de plusieurs millénaires (ci-dessus), dont quelques spécimens sont conservés au musée du Louvre. On ne connait évidemment plus toutes les recettes, mais nous savons en revanche que les variétés de pains et gâteaux n’avaient que peu à envier à la diversité des vitrines de nos boulangeries contemporaines. Les hiéroglyphes montrent des pains moulés ou simplement levés, cuits directement sur la pierre.
Filtre à boire - faïence siliceuse |
Plus que le vin pourtant grandement apprécié mais réservé à une élite, la bière était une boisson de choix pour agrémenter les repas et la vie quotidienne. Elle était réalisée dans des brasseries – illustrées par des maquettes antiques (cf image de Une de l'article) – et préparée à base de grains d’orge peu cuits, sans doute légèrement germés dans de l’eau sucrée à partir d’ajout de dattes. Riche en dépôts, la bière était clarifiée par l’intermédiaire de petits filtres à boire (ci-dessus), souvent retrouvés dans les tombes à côté des maquettes. La conservation de la bière étant difficile à maîtriser, elle était produite pour une consommation quasi immédiate. Elle n’était en effet comestible que quelques jours et façonnée sans doute au sein même des familles, en plus des grandes brasseries gérées par l’Etat. La bière était ensuite conditionnée dans des bouteilles de terre cuite stockées dans des caisses.
Cet article est un épisode issus d'un parcours de visite au musée du Louvre, qui permet de poser un autre regard sur les céréales et les produits céréaliers et d’en découvrir la dimension symbolique et sacrée à l’époque pharaonique.
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