C'est sans conteste l'une des plus fameuses madeleines de Proust que compte le monde rural. Celle qui parle à tous ceux qui, enfants, ont sillonné, en culottes courtes, les champs de blé à l'heure des moissons.

Comme beaucoup, Hubert Chiron, aujourd'hui ingénieur d'études à l'Inra de Nantes, a vécu cette expérience sensorielle dans ses jeunes années. L'été venue, il allait, avec ses copains, voir le « spectacle fantastique » des moissonneuses-batteuses en action. Là, la petite bande prenait des grains de blé et les mastiquait avec application. L'exercice était des plus simples. Mais se révélait rapidement... magique : au bout de quelques minutes, une gomme allait naître sous leurs dents. « Le moins cher des chewing-gums ! », se souvient-il aujourd'hui.

Évoquez l'existence de ce « chewing-gum des campagnes » à des agriculteurs, vous aurez toutes les chances de voir un sourire naître sur leur visage. L'expérience vécue enfant est d'ailleurs bien souvent perpétuée à l'âge adulte. Agriculteur à Corrombles, en Côte d'Or, Marc Patriat aime toujours céder au rituel. « Lorsqu'on voit du blé, on va naturellement en prendre en main », explique-t-il. Et ce, avant la « mise en bouche » qui donnera la fameuse pâte au parfum d'enfance.

« Un James Dean aux petits pieds »

Pour comprendre comment la magie opère et comment le grain de blé devient chewing-gum, il faut prendre la direction des laboratoires scientifiques. Certains d'entre eux se penchent quotidiennement sur la composition des farines et, pour ce faire, séparent leurs différents composants, de façon mécanique ou manuelle, avec de l'eau salée. « Une réaction similaire à ce qui peut se produire en bouche, sous l'effet de la mastication et de la salive », explique Benoît Méléard, d'Arvalis Institut du végétal. La conséquence d'une telle séparation ? Elle isole « un mélange solide, résultant de l'organisation du réseau de protéines en gluten. » Ce même gluten qui va, justement, donner son élasticité à la pâte du futur pain... ou au chewing-gum naissant (en latin, gluten signifie « colle »).

Ainsi naît la gomme naturelle qui fait le délice des enfants, le souvenir de leurs parents, et même, parfois, un lien entre générations. Le comédien Philippe du Janerand se souvient ainsi que son père l'avait initié à cet épatant secret céréalier, lors d'une pause de la voiture familiale sur les petits chemins de campagne. « Il me montrait qu'un épi de blé pouvait se désagréger en petits grains... En les mettant en bouche, ils s'humidifiaient et il me disait : ''C'est presque du chewing-gum''. » . Les années ont passé, mais, l'acteur l'assure, la madeleine est bien restée : « J'ai encore en mémoire cette sorte de bouillie qui me faisait effectivement ressembler à un James Dean aux petits pieds. »

Philippe Du Janerand, comédien, nous raconte son imaginaire céréalier