Elles sont là, mais les voit-on encore : le pain quotidien, le riz et les pâtes qui répondent parfois au manque de temps à cuisiner, la bière avant tout désaltérante et le paquet de farine, habitant permanent du placard en cuisine.
Nous avons pourtant vu dans l’article «le temps s’étend» que nombre de produits de boulangerie et de pâtisserie répondaient à la demande de certaines fêtes comme des produits saisonnés, attendus et espérés. Ces produits, inscrits dans le calendrier, n’offrent pas seulement à manger, mais bien aussi à rêver, leur goût s’inscrivant dans notre mémoire et dans le cheminement du temps qui passe. Mais il s’agit de produits transformés, pas de la source de leurs recettes.
Blé, seigle, orge, sarrasin, riz, maïs n’existeraient-ils que comme une permanence? Ils sont pourtant bien inscrits eux aussi dans le cycle des saisons. Et ils répondent à des temps de récolte, de stockage et d’utilisation.
Les brioches et gâteaux des rois, les bugnes, oreillettes et merveilles, toutes ces spécialités boulangères ne sont pas que des gourmandises. Placées entre la nuit la plus longue de l’hiver et le printemps, période où les céréales sont semées ou sont en herbe, elles sont une manière de dire que la vie continue et qu’une prochaine récolte viendra. Sacrifier de grandes quantités de céréales à ces plats, exprime aussi tout l’espoir de renouveler les réserves de notre alimentation de base : les céréales.
Comme il existe du vin nouveau, les céréales peuvent être nouvelles et renouveler leur parfum au moment de leur récolte.
Les bières de saison, ne sont pas seulement un argument marketing, mais bien inscrites dans une tradition, gérée auparavant par une loi qui interdisait de brasser après le 31 mars, et tenant compte de l’utilisation des céréales de la récolte précédente et de la qualité des fermentations de meilleures qualités en hiver. Bière de Noël, bière de mars et bière de printemps, sont tout à la fois, nécessité technique, potlatch symbolique et produits attendus car contraints dans un espace temps.
De même, dans la tradition culinaire japonaise, à l’automne, la nouvelle récolte de sarrasin permet de réaliser des sobas, nouilles de sarrasin, attendues et reconnues comme meilleures et différentes.
Cette façon de réinscrire les céréales juste après leur récolte dans la réalisation de produits et de plats est aussi importante dans la tradition des pays producteurs et consommateurs de riz comme le Vietnam, le Cambodge où la Thaïlande. Des repas communautaires permettent de fêter le riz nouveau. De même, dans les pays du Maghreb, le couscous réalisé avec le blé dur nouveau et roulé juste avant d’être cuisiné est considéré comme de meilleure qualité gustative.
Ainsi replacer les céréales dans leur cycle végétatif, conclu par la mise à disposition de la nouvelle récolte, nourrit un imaginaire où la qualité gustative est mise en avant et où la reconstitution des stocks donne au consommateur à les considérer non comme un minerai invariablement disponible, mais comme une base alimentaire dépendant du savoir-faire des agriculteurs. C’était la fonction de nombreuses fêtes des moissons dans la France rurale vivrière, où se réalisaient en particulier des tresses complexes et esthétiques de paille et d’épis.
Préciser que le pain est réalisé avec le blé tendre nouveau ou que les pâtes sont issues de la dernière récolte de blé dur pourrait leur conférer une originalité, un goût, une valeur supérieur auprès des consommateurs.