Ce temps de fête pouvait prendre des noms différents selon les régions de l'Hexagone : le chien d'août en Brie ou encore la balayette en Charente-Maritime. Mais il possédait, en de nombreuses contrées, des rituels immuables : la maîtresse de maison, femme du cultivateur, offrait un repas aux employés qui avaient participé à la récolte. Lesquels lui remettaient en cadeau un bouquet de moisson.
A vrai dire, un tel bouquet était bien plus qu'un simple présent de circonstance. Tout d'abord en raison de la finesse de sa confection. Certains s’apparentaient à de véritables œuvres d'art, mariant épis de blé tressés, fleurs (des bleuets par exemple dans le Pas-de-Calais), rubans... Répandue à travers de nombreuses régions européennes (tout particulièrement la France, l'Angleterre et l'Europe centrale), la pratique allait d'ailleurs donner naissance à des savoir-faire régionaux, la forme (collier de cheval, cœur, corne d'abondance...) et la technique de confection des bouquets permettant progressivement d'identifier très nettement leur origine géographique. Au point de devenir de véritables marqueurs patrimoniaux, objets de décoration parfois prisés, au même titre que les « corn dolly », poupées de blé qui ornent aujourd'hui de nombreuses maisons Outre-Manche.
Une symbolique déjà établie dans l'Egypte antique
Pour comprendre toute la profondeur de cette tradition et la symbolique qui se cachait derrière ces bouquets, il faut remonter le temps de quelques millénaires. Où l'on découvre qu'une telle pratique était déjà en place dans l'Egypte antique. Entre 1500 et 1000 avant J.-C., des fêtes des moissons étaient ainsi organisées et le pharaon pouvait être amené à couper la première gerbe de céréales. Il en faisait don à Min, divinité de la fertilité, afin d'assurer notamment de bonnes récoltes à son peuple. La civilisation égyptienne introduisit également la tradition des « poupées de blé » qui étaient alors conservées, par exemple, dans les granges, en attendant la fin de la campagne suivante. Ainsi, dès le Nouvel Empire égyptien, sont déjà en place nombre de pratiques symboliques qui accompagneront jusqu'au XXe siècle le temps de la récolte.
Bien plus qu'un simple présent ou qu'un objet décoratif, le bouquet devait donc assurer une protection aux cultivateurs et favoriser une bonne récolte. Il était ainsi souvent gardé dans leur maison, jusqu'à la moisson suivante. En France, les bouquets constitués des premiers épis récoltés (d'autres étaient réalisés avec les derniers épis de la moisson) pouvaient bien souvent être bénis par le curé, dans des campagnes où rituels païens et chrétiens s'entremêlaient.
Le renouveau des traditions agraires
Le pouvoir spirituel avait d'ailleurs un rôle de premier plan dans l'accompagnement de la communauté villageoise vers une bonne récolte. Pour s'en convaincre, il n'est qu'à voir les différentes formes prises par les bouquets : on recensait parmi eux de nombreuses croix mais aussi des confections particulièrement élaborées tels des ostensoirs (pièces d’orfèvrerie où est traditionnellement placée l'hostie consacrée). On peut retrouver aujourd'hui certaines de ces pièces, ou de simples gerbes d'épis, dans les églises, l'été venu, à la faveur d'un renouveau des fêtes agraires.
Il est en est ainsi également hors des murs des édifices religieux : les traditions agraires refont aujourd'hui surface dans les campagnes de l'Hexagone sous un angle patrimonial. Ainsi, à la Ferté-Gaucher, dans la Brie, la fête du chien d'août a fait son grand retour depuis une quinzaine d'années. Loin des rites et des symboles, la création des bouquets de moisson est également une activité en pleine expansion dans certains pays. C'est le cas en Pologne, où leur confection a tellement de succès que des concours sont désormais organisés dans tous le pays pour départager des dizaines de créations plus impressionnantes les unes que les autres, et qui ont pu parfois nécessiter plusieurs mois de travail à leurs auteurs.
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