Emancipé à l’âge de 20 ans pour acheter une ferme de 40 hectares avec 5000 francs en poche, cet agriculteur cultive aujourd’hui plus de 300 hectares de blé de semence , de maïs semence et de colza en Touraine. Cette réussite fait suite à quarante ans de travail et à des « paris parfois perdus, souvent gagnés » sur le drainage, l’irrigation, l’achat ou la location de nouvelles terres.
Quand on gratte ce vernis social, on découvre un contemplatif. Les rêveries de Christian ressemblent aux paysages dans lesquels il évolue à Saint-Quentin-sur-Indrois, au sud-est de Tours. Elles se nourrissent de la variété des paysages (vignes, champs de céréales, élevages). Elles épousent « le plissé léger » du champ qui part à la rencontre de la forêt de Loches. Elles interrogent la ligne dessinée à l’horizon par cette chênaie prestigieuse pour prédire l’arrivée de la pluie ou de l’orage.
Des carrosses et du gibier dans la plaine
Les noms de lieux sont autant de clous auxquels Christian accroche ses songes. Sur cette terre qu’il connaît depuis toujours et qu’ont arpenté trois générations de Vrignon avant lui, « La Paillonne» le laisse supposer qu’ « un jour il y a eu de la paille, donc du blé ». « La Poirette » lui met en bouche un goût de fruit sauvage. « Le Noyer-Boutaut » lui rappelle que la parcelle, avant d’être un champ de blé, était une terre d’élevage plantée de noyers sous lesquels les vaches venaient chercher de l’ombre.
Les noms de lieux sont autant de petits ruisseaux qui irriguent les rêveries de Christian. Pour atteindre la grande rivière, celle qui mêle le réel à l’imaginaire, il faut prendre le chemin de « La Trotterie ». Sur cette parcelle de blé, les idées de Christian, qui auparavant marchaient au pas, s’accélèrent. « La Trotterie était sans doute un lieu où les chevaux venaient trotter », déduit-t-il. Madame de Sévigné lui donne raison en employant ce mot, en 1680, pour désigner un voyage à cheval. Plus de trois cents ans plus tard, au pays des châteaux de la Loire, entre la cité royale de Loches et le château de Chenonceau, un homme rêve sur son tracteur « de nobles et de courtisanes, de chevaux, de carrosses, de chasses à courre et de gibier qui court dans la plaine ».