Le « puits d’amour » est une pâtisserie inventée par un grand pâtissier au 18ème siècle. Apparue simultanément à une autre recette bien traditionnelle de la cuisine française, chacune était au service de deux rivales... La gourmandise avait le même but, celui d'attirer l’attention du même homme : le roi Louis XV. L'une était chaleureuse et généreuse, tandis que l’autre était coquine et audacieuse. Pour la Saint-Valentin, dans laquelle des deux irez-vous puiser l’amour ?

 

Marie Leczinska, épouse de Louis XV, ayant perdu les grâces de son mari après dix grossesses, a fait appel à l’art de son pâtissier pour tenter de retrouver les faveurs du roi. L’amour et une bonne table ne vont-ils pas de pair ? Nicolas Stohrer, qui a servi la reine pendant sa jeunesse et l’a suivi à Versailles après son mariage, invente donc la « bouchée à la reine ». Cette délicieuse croustade en pâte feuilletée, remplie de purée de volaille à la crème, est devenue un classique de la cuisine française. Si elle s'est ensuite répandue hors des frontières du royaume, la bouchée à la reine n’a malheureusement pas rempli son rôle premier, celui de séduire le roi. Car en même temps, une autre pâtisserie commençait à faire fureur lors des repas intimes du monarque avec sa maîtresse Madame de Pompadour. Proposée par Vincent la Chapelle, chef cuisinier de la marquise, elle s’appelait le « puits d’amour ».

« Faites un feuilletage : votre feuilletage étant fait, étendez-le de l’épaisseur d’un écu ou de deux florins. Mettez un plat par-dessus de la grandeur que vous voulez faire votre gâteau ; coupez la pâte tout autour ; mettez cette abbesse sur un plafond ; ensuite prenez un autre plat qui soit plus petit d’un bon pouce et refaites une autre abbesse ; coupez-là dans le milieu, et enlevez la pièce de six pouces en rondeur, selon la grandeur de votre gâteau, et mettez le collier sur votre première abbesse ; faites quatre « S » aussi grandes que vous le jugerez à propos, pour le moins de quatre pouces de hauteur, elles se font du même feuilletage. Faites cuire le tout au four ; étant cuit, poudrez votre gâteau au sucre et le glacez avec la pèle rouge ; il faut que les S soit glacés de tout coté. Vous formez un petit cordon de la longueur de quatre à cinq pouces pour imiter les seaux d’un puits… », écrit Vincent La Chapelle dans son « Cuisinier Moderne » en 1735.

Vincent La Chapelle, Le cuisinier Moderne, éd. 1742, volume 2 & les pages avec les recettes des puits d’amour

Les bouchées, faites de pâte feuilletée glacée, s’assemblent autour d’une couronne aux choux, mais peuvent aussi être servies en gâteaux individuels. Tout semble parfaitement innocent, mais chez Madame de Pompadour on oublie le salpicon de purée de volaille : trop « familial », trop ennuyeux. Le puits d’amour de La Chapelle est rempli de confiture de groseilles ou de marmelade d’abricots. Un puits en appelle un autre, encore plus attirant. Trop suggestive, la pâtisserie fait scandale. 

Pour céder aux bonnes meurs, la confiture est finalement remplacée par de la crème pâtissière, plus neutre. Mais Vincent La Chapelle persiste. La forme des « pommes d’amour » dont il propose également la recette, rappelle clairement le sein féminin.

Marie Leszczinska, reine de France, par Carle Van Loo, 1747 La marquise de Pompadour par François Boucher (1756), Munich, Alte Pinakothek.

Quant au puits d’amour, il se peut qu’un authentique puits à eau et une véritable histoire d’amour aient donné au pâtissier l’idée de sa création. En XII siècle, il se trouvait en plein milieu des Halles de Paris, au carrefour de la Tour, au croisement de la rue Mondétour et de la rue de la Grande Truanderie, un puits à l’origine d’une légende urbaine qui a survécu jusqu’à nos jours. Agnès Héllebic, une jeune fille trompée par son amant, s’y serait jetée pour mettre fin à son chagrin d’amour. 300 ans plus tard, un jeune homme rejeté à son tour par sa bien-aimée, a voulu mettre fin à ses jours de la même façon. Il est dit que son acte désespéré a touché le cœur de la cruelle, qui lui a finalement jeté une corde, l'a sorti du puits et a accepté de devenir sa femme. Pendant des siècles, le puits est resté un lieu de pèlerinage pour les jeunes amoureux. La nuit tombée, on y chantait, on y dansait, on y faisait le serment de s’aimer toujours. 

Puits d’amour, au carrefour des rues de Montdétour, de la Pirouette et de la Grande Truanderie.

Après tout, peu importe si les légendes disent vrai : aller chercher de l’eau au puits, n’est-ce pas une belle occasion de rencontrer l’amour ? Les réunions nocturnes sont finalement devenues trop gênantes pour le voisinage, et le puits fut comblé. Restent les histoires d’amours et les « puits » toujours proposés par la boutique Stohrer, à deux pas de l’ancien carrefour de la Tour. Cette pâtisserie, la plus vieille de Paris, située rue Montorgueil, présente les gâteaux dans leur version assagie, avec de la crème pâtissière. Chez soi, on peut aussi tenter la version Vincent La Chapelle. 

 

Crédits photos : © Géraldine Martens