Kervern et Delépine sont des indépendants à l’appétit féroce. Ensembles, ils ont commis sept long-métrages, en commençant par un road movie en chaise roulante, Aaltra, tourné de la Picardie à la Finlande, avec comme point de départ une benne agricole.
Que Benoît Delépine soit le fils d’un agriculteur picard, n’explique pas nécessairement la tendresse des deux réalisateurs pour ce monde. Il n’empêche que leur long-métrage, Saint-Amour, présenté hors compétition à Berlin, au 66ème festival international du film, démarre bel et bien au salon de l’agriculture : Sur un coup de tête, un père, Gérard Depardieu, décide d’emmener son grand fils, Benoît Poelvoorde, sur la route des vins, redécouvrir la vie et les femmes.
Que se passe-t-il autour de la table lors du tournage d’un pareil film, Saint-Amour, dont le titre sonne comme une déclaration ?
D’abord, il y a toujours du fromage. Benoît et moi y tenons beaucoup, de terminer nos repas avec du fromage. Quand je suis dans le nord, je ne me vois pas sortir de table sans avoir pris un morceau de maroilles sur un bout de pain. Et puis nous préférons nous arrêter au restaurant plutôt que de grignoter. Je déteste manger sur le pouce. J’ai besoin de m’assoir, de prendre mon temps. La table est un moment où les idées nous viennent, des idées de films, c’est un lieu que l’on utilise aussi pour rencontrer les comédiens, préparer les scènes, car nous ne faisons pas de répétition. Sans la table, un tournage ne serait pas un objet aussi vivant. Il lui manquerait quelque chose.
Avez-vous utilisé la nourriture comme ingrédient du scénario ?
Oui, pour obtenir des effets comiques. Il y a une scène où Michel Houellebecq tient une maison d’hôtes qui sert des petits déjeuners sans gluten. Le mot nous faisait rire, gluten. Je trouve ça rigolo de l’utiliser dans ce contexte. D’ailleurs, les scènes où la nourriture joue un rôle sont nombreuses dans le cinéma. Une tradition un peu perdue aujourd’hui, qui était le propre d’acteurs comme Jean Gabin ou Lino Ventura. Je me souviens d’une séquence dans une comédie, Les barbouzes, où Lino Ventura commande son déjeuner, avec des paupiettes en ouverture et un plat de côtes, puis change d’avis pour un civet, un plat de côtes, demandant qu’on lui glisse aussi une paupiette, avant de commander une tartelette, tout de suite après le fromage. Un effet d’accumulation très drôle.
Vous êtes plutôt baguette ou baguette tradition ?
Tradition, je la trouve plus à mon goût. Elle me fait plus envie que les autres. Avec le pain, je suis très difficile. J’ai récemment déménagé et, comme à chaque fois, je me suis employé à faire le tour des boulangeries pour trouver La baguette. C’est important quand on aime le pain comme je l’aime. Et j’ai eu de la chance, j’ai trouvé un MOF (Meilleur Ouvrier de France) à côté de la maison. Il faut dire que, lorsque je suis en appétit, je suis capable de manger une baguette entière, façon jambon-beurre. Je crois qu’il n’y a rien de meilleur que le jambon-beurre. En matière de sandwich, c’est extraordinaire.
Dans le film Peau d’Âne, Catherine Deneuve cuisine un cake d’amour pour son prince. Avez-vous aussi dans Saint-Amour, un plat symbole ?
Non pas particulièrement. Il n’y en avait pas besoin. En fait, ce sont les femmes qui donnent le rythme à l’histoire, Céline Sallette, Chiara Mastroianni, Izïa Higelin, Andréa Ferréol, qui a joué dans la Grande bouffe, pour moi un film de référence. Finalement, elles prennent progressivement le pas sur le vin et deviennent, avec l’émotion générée par cette histoire filiale, le pivot du récit.
Et si personnellement vous deviez avoir un plat préféré ?
Je dirais un bœuf au curry, au carri, dit-on à la mauricienne, l’île sur laquelle je suis né, à servir avec du riz, qui est mon aliment principal. Comme les histoires et le cinéma que j’essaye de tourner, j’aime la nourriture pimentée.
Crédit photo : Roger Arpajou 2015 - No Money Productions