Au Kyrgyzstan, aucun conducteur ne résiste à la tentation de s’arrêter en bord de route pour boire un verre d’une boisson couleur blanc cassé ou beige avant de continuer son chemin. Pour situer ce petit pays montagneux, dépliez la carte d’Asie Centrale et pointez votre doigt en plein milieu. Vous y êtes, le Kyrgyzstan est entouré sur trois de ses côtés, nord, ouest et sud, d’autres républiques ex-soviétiques dont les noms se terminent par « Stan » - Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan, et, à l’ouest, il partage sa frontière avec la Chine. Le massif de Tian Chan s’unit ici au Pamir, les plus hauts pics dépassent les 7 000m, les trois quarts du territoire kyrgyze se hissent à plus de 900m.
C’est peut-être pour cette raison que les céréales, rustiques et ne craignant ni froid ni sécheresse, sont restées présentes dans la cuisine quotidienne. Elles entrent dans la composition des plats et des pains mais servent aussi à la fabrication des boissons fermentées.
“Plus appétissant que la moelle”
Parmi les boissons céréalières dont les recettes sont aussi nombreuses que les mains qui les préparent, le bozo est certainement la plus répandue. Les Kyrgyzes sont nomades, ils partagent leurs inspirations culinaires avec d’autres populations le long de la route de la soie. Le bozo est un héritage commun à tous les peuples turcs jusqu’aux montagnes d’Altaï, ainsi qu’aux Tatars de Crimée, des Ouzbeks et même des Russes. Préparée la plupart du temps à base de millet, la boisson est fabriquée en plusieurs étapes dont la première est la fabrication du “talkan”, farine grossièrement moulue et grillée.
Au 17ème siècle, le voyageur turc Evliya Çelebi consacre au bozo plusieurs passages dans son “ Livre des voyages ”. “On peut boire du bozo et ensuite ne pas manger pendant trois - quatre jours, comme font les Tatars”, - ainsi vante-t-il les qualités nutritives du breuvage. Puis il continue les louanges concernant son goût: “cette boisson est douce comme le miel et plus appétissante que la moelle”. Evliya Çelebi mentionne également la tradition qui consiste à offrir le breuvage aux invités en signe de respect ou encore aux soldats qui ont manifesté leur courage lors d’une bataille. A part le millet, il nomme également en tant que matière première d’autres sortes de panics.
Les technologies de préparation du bozo varient d’un peuple à l’autre et même d’une famille à l’autre. Les Russes par exemple préparaient la boisson non seulement à base de millet mais également à partir du sarrasin ou d’avoine, donnant ce nom à une sorte de bière sans houblon. En fermentant, le bozo peut effectivement devenir alcoolisé (de 4 à 6% d'alcool). C’est certainement pour cette raison que dans la langue russe un verbe issu du mot “bozo” signifie “faire du tapage” ou du “raffut”. Et c’est pour cela également que les pouvoirs turcs et russes ont commencé petit à petit à faire interdire sa consommation au sein de l’armée et dans les lieux publics. Mais rien n’y fait, les interdictions n’ont pas pu vaincre la tradition profondément ancrée, ni l’amour populaire.
Le bozo est toujours présent aux mariages, pendant les festivités et tout simplement au quotidien.
L’arôme des graines grillées
Si le bozo se fait le plus souvent à base de millet, pour le maksym, autre boisson répandue au Kyrgyzstan, la matière première de prédilection est le seigle. Le “talkan” de cette céréale est également utilisé par les populations d’Asie Centrale et de la Sibérie pour préparer des bouillies ou encore des petites boules qu’on sert avec du miel pour accompagner le thé. La boisson est d’une couleur blanc cassé ou beige et possède l'arôme de graines grillées.
La liste des boissons à base de céréales n’est pas finie. La zharma, variation succulente du maksym auquel on ajoute du lait fermenté ou du petit lait de jument, ou encore l’atchyma ou autres kojo, seront servis au voyageur avec hospitalité et sourire.
Vous n'êtes pas sûr de retenir les noms ? Demandez “du pain liquide”, on vous comprendra tout le long de la route de la soie.