Journaliste culinaire, elle a laissé des recettes, écrivaine, elle a décrit ses plats préférés. Mais par-dessus tout elle a pu attraper dans l’air et saisir les moments palpitants de la gourmandise : l’arôme de la mie, le toucher soyeux de la farine sur la croûte, la force des mains qui pétrissent la pâte.
« J’aime être gourmande », cette citation de Colette sonne comme un manifeste. Peu d’écrivains dans le monde ont introduit la nourriture dans l’action même du roman. Les arômes, les goûts, les gestes culinaires tissent le canevas du récit. Parmi eux, la prépondérance des mets liés aux céréales est évidente. La soupe à l'oignon, le gâteau fourré, le kouign amann, les gougères et les tartes deviennent presque des personnages à part entière.
Des récits qui donnent l’eau à la bouche
Rare fait dans la littérature, les plats sont décrits comme de vraies recettes, exactement comme l’on retrouve encore dans les familles et qui en relatent l’histoire : des repas pris aux heures précises, des plats de fêtes et des jours de la semaine, avec des astuces de tantes et de grand-mères disparues depuis longtemps. Journaliste gastronomique pour Marie Claire en 1938-1940, Colette en a laissé des dizaines, dernièrement rassemblées et publiées. Que ce soit « le pudding saucé d’un brûlant velours de rhum et de confitures » ou le riz qui « s’accompagne de safran et de curry », ces recettes font découvrir la cuisine familiale et nourrissante. Il n’y a dans ces plats aucune raideur conventionnelle qui peut parfois caractériser la cuisine bourgeoise, juste la joie de la bonne table qui procure le sentiment rassurant de stabilité. C’est une cuisine heureuse.
Quelques plats régionaux trouvent également leur place dans les récits de Colette, comme le « traditionnel gâteau » d'anniversaire, la « crêpe, en carnaval » ou encore le « gâteau à cinq cornes, cuit et mangé le jour des Rameaux ». Savait-elle que même si l’Eglise voit dans sa forme la Sainte-Trinité, d’autres sources la font remonter à des rites plus anciens, païens et aux contours suggestifs à souhait ? On peut bien le croire connaissant sa capacité de capter les détails de la vie autour d’elle.
L’amour de Colette pour le pain
Avec les recettes, on est toujours dans la description presque encyclopédique de la cuisine française de la première moitié du XXème siècle. Et pourtant il y a dans les livres de Colette une autre catégorie de plats. On ne les appellerait même pas ainsi si ce n’était pas la plume de l’écrivaine qui leur donnait leurs lettres de noblesse. Ce sont plutôt des sandwiches, des goûters dans des paniers des enfants, des casse-croûtes et bien sûr, la tartine, sa préférée. « Le vrai gourmet est celui qui se délecte d’une tartine de beurre comme d’un homard grillé, si le beurre est fin et le pain bien pétri », - écrit Colette, et la tartine réapparaît dans ses livres à plusieurs reprises devenant finalement le symbole des meilleurs des festins :
« La gourmandise est plus modeste, plus profonde aussi. Elle est d’essence à se contenter de peu. Tenez, hier matin, j’ai reçu de la campagne, par avion …
– J’en ai l’eau à la bouche !
– Oh ! Ce n’est sûrement pas ce que vous croyez, ma gourmandise remonte à des origines rustiques, car c’était une tourte de pain bis de douze livres, à grosse écorce, la mie d’un gris de lin, serré, égale, fleurant le seigle frais, et une motte de beurre battu de la veille au soir, qui pleurait encore son petit lait sous le couteau, du beurre périssable, point centrifugé, du beurre préssé à la main, rance deux jours après, aussi parfumé, aussi éphémère qu’une fleur, du beurre de luxe …
– Quoi, une tartine de beurre !
– Vous l’avez dit. Mais parfaite ».
« Le pain frais est gai »
Une kyrielle de sandwiches et de tartes, de gâteaux et des galettes s’échappent de la loi de l’apesanteur, rappelant les jeux d’enfants: « Lisette, en chandail et maillot de bain, balançait le pain tiède noué dans une serviette ». « Le pain frais est gai comme le toit de tuile rose » et « le talon de pain chaud fariné, vidé de sa mie, tapissé intérieurement de beurre et de gelée à la framboise » comble les jeunes appétits. Ce n’est plus « notre pain quotidien » mais tout à fait un autre, plein d’insouciance et d’émerveillement devant cet objet presque personnifié et en tout cas vivant.
Et c’est là qu'opère la magie de Colette : le pain, la vie et l’amour deviennent un. Dans l’œuvre de celle qui clamait l’importance des plaisirs simples, les épis, la farine, le pain s’apparentent aux humains. « Le blé en herbe » remplace « le Seuil » comme le titre d’un de ses romans des plus célèbres. Les jeunes héros sont effectivement comme ces brins de céréales, sensibles et pas mûrs. La scène de leur amour se déroule quand ils trébuchent sur une sorte de foin dur, qui craque, c’est le sarrasin. Les battements des deux fléaux accompagnent les battements des cœurs, les cheveux de Vinca sont pleins d’épis et ses bras deviennent « d’un brun-roux de pain campagnard ». De la description réaliste des recettes Colette passe à l’impressionnisme du « déjeuner sur l’herbe », le pain devient alors définitivement l’amour, et l’amour, à son tour, le pain de la vie.