La soupe alphabétique a une saveur exquise de permissivité. Pour une fois, les lettres ne sont pas rangées le long des lignes du cahier. Elles reposent en tas au fond de l’assiette. On n’attend pas d’elles qu’elles soient lisibles et bien formées. Certaines, qui devraient marcher sur deux pattes, sont unijambistes. On n’exige pas non plus qu’elles produisent du sens. Au fond de l’assiette, les lettres attendent qu’on donne consistance à des mots.
La soupe alphabet a aussi le goût d’une interdiction qu’on lève. Elle est le seul moment de la vie d’un enfant où on l’autorise à jouer avec la nourriture. Ce jeu est un jeu d’adresse quand il faut repêcher les lettres à travers le rideau de vapeur et les ondulations dorées du liquide. Un jeu de lettres quand on compose une phrase sur le bord de l’assiette. Et un jeu de société.
En lettres minuscules et tremblotantes
Avec les pâtes alphabet, le blé dur offre sans doute la meilleure recette pour enseigner aux enfants à ne pas être des mangeurs passifs mais des gourmands curieux de s’approprier le contenu de leur assiette.
« Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu’il soit bon à penser », disait Claude Lévi-Strauss. Dans le bol ou dans l’assiette, les caractères minuscules et tremblotants incarnent notre besoin, dès le plus jeune âge, de donner du sens à notre alimentation. Dans nos sociétés davantage tenaillées par l’obsession de bien choisir ses aliments que par la faim, il s’agit de s’assurer que la nourriture est suffisamment bonne et sûre pour être ingurgitée, suffisamment saine pour nous construire, suffisamment vertueuse pour maintenir le monde en équilibre.
Sous l’eau de cuisson des légumes, du pot-au-feu ou de la poule au pot, les pâtes alphabet sont la métaphore de ce gisement d’informations, d’arguments et de récits dont chacun a besoin pour manger avec confiance et appétit.
Ces récits sont les conversations familiales autour d’un plat partagé. La pluie et le beau temps des agriculteurs. L’actualité en matière d’agriculture et d’alimentation. La légende des produits, des régions, des marques… Elles montrent aussi la nécessité pour l’agriculture, les artisans du goût et les industries alimentaires de savoir bien se raconter.
Avec la soupe de lettres, les semouliers ont-ils initié avant l’heure cette conversation que l’écosystème agroalimentaire entretient désormais en permanence avec les citoyens et les consommateurs ? Peut-être son b.a-ba.