Que ce soit à Tarbes, à Albi ou à Rodez, c’est la distraction principale des marchés. Alors qu’au-dessus des braises tourne un cône allongé, le pâtissier ou la pâtissière, une louche à la main fait couler de la pâte lisse et dense sur cette construction rudimentaire.

La pâte s’accroche, couche après couche, durcit et se fige, ses écoulements forment des ramifications qui rappellent des stalactites. L’odeur de la pâtisserie toute fraîche se répand partout au-dessus des étals de fruits et légumes. C’est le gâteau à la broche, la fierté des Pyrénées et du Massif Central.

Face à la concurrence des desserts sophistiqués de notre temps, le gâteau à la broche a su traverser le temps sans perdre de sa popularité. Et si la France le considère comme son héritage culinaire, beaucoup d’autres pays, de l’Allemagne jusqu’en Suède, en passant par la Hongrie, la Pologne, ou encore la Lituanie, en revendiquent également la paternité.

La légende dit que c’est l’armée napoléonienne qui a répandu ce gâteau bien français jusqu’aux confins de l’Europe car les soldats le faisaient cuire sur les braises. On voudrait bien croire à l’image idyllique d’un soldat aveyronnais apprenant aux paysans locaux la recette de son pays autour d’un feu de bivouac. Hélas, on imagine moins bien ce même soldat se procurer des dizaines d’œufs par temps de guerre. C’est effectivement ce que demande la pâte. Le légende se brise définitivement en se heurtant au fait historique : la première fois que la recette du gâteau à la broche a été publiée c’était en 1692, en Allemagne, bien avant la naissance du futur empereur.

Le gâteau branché et branchu

Le shakotis lituanien est le frère jumeau du gâteau français. Par contre, si les habitants des Pyrénées et de l’avant-pays croient que ses « pics» savoureux incarnent les massifs de leurs paysages, les Lituaniens, natifs d’un pays plat et recouvert de majestueuses forêts, y voient des branches de sapins. Le nom même shakotis se traduit comme « branchu » ou « ramifié ».

Les pays comme la Pologne et la Biélorussie le connaissent également et l’appellent, respectivement, sękacz et bankouha. Mais c’est en Lituanie que cette pâtisserie traditionnelle est devenue une vraie institution inscrite dans le registre du patrimoine national. On le porte pendant les processions religieuses et on le cuisine pour les mariages, en lieu et place d’une pièce montée et décoré selon les goûts de la mariée. Le vide conique laissé à l’emplacement de la broche convient on ne peut mieux à cet usage : on y met une bouteille de champagne !

« Le roi des gâteaux »

Si shakotis est identique au gâteau français, le baumkuchen allemand est un cousin plus éloigné. N’ayant pas d'excroissances qui pourraient rappeler des pics de montagnes ou des branches, il est tout lisse mais ressemble tout de même à un arbre du fait de ses couches visibles à la coupe, tels des anneaux annuels de croissance. Son nom signifie « gâteau – arbre » mais on l’appelle également « le roi des gâteaux », tandis que son image orne fièrement l’emblème du guide des pâtissiers. Au début du 20èm siècle un pâtissier allemand l’a amené au Japon où il jouit depuis d’une très grande popularité.

Mais pas la peine d’aller si loin pour le goûter, on peut le trouver également  à Paris, dans des pâtisseries allemandes (notamment au Kaffeehouse dans le 17ème arrondissement où il se présente enrobé de chocolat). Ou même dans une version hongroise, plus briochée, et qui porte le nom de chimney cake. Il se trouve dans la petite boutique Alma, rue Réaumur. On est content également de retrouver dans la capitale un vrai gâteau à la broche bien français. Deux fois par semaine, il se vend avec succès sur le stand de l’artisan pâtissier David Carrau au marché Maubert. Tourné à la manivelle au-dessus des braises, bien sûr : aucun mécanisme n’a encore remplacé la régularité de ce geste humain avec le même résultat gustatif. Le gâteau à la broche demeure le symbole même de la pâtisserie artisanale.